LAMORTHE Isabelle, Enseigner la musique à l'école

Publié le par stephen0711

... suivi d'un commentaire lié à mon expérience personnelle


Isabelle Lamorthe,

Enseigner la musique à l’école

I Résumé

Avant propos

Des témoignages et des situations d’enseignement sont relatés dans l’ouvrage d’Isabelle Lamorthe, à titre d’illustration. Notre résumé se donnera pour but d’en tirer les résultats et les problématiques mais de ne pas en faire une transcription tronquée.

Du bon usage de la fausse note

La fausse note salirait la beauté, trahirait la musique, dévoilerait notre faiblesse. Alors pourquoi continuer ? Désinvestissement, fatalité, intériorisation de l’échec : l’hécatombe a ses raisons. Mais les solutions existent. Et Isabelle Lamorthe nous propose de donner priorité à l’écoute active, de tout miser sur une pédagogie de la création.

1. Pédagogie du modèle ou pédagogie de la création ?

La pédagogie du modèle, c’est faire « ce qu’il faut », « comme il faut », c’est imiter, se plier, chercher à savoir ce que demande l’autre plutôt que de se chercher soi-même. Comme l’écrit Jean-Pierre Astolfi, cela fait partie du métier d’élève1. De la naissent, au sein des apprentissages musicaux, les blocages, la peur de la fausse note, l’imaginaire frustré par un professeur à l’imaginaire frustré. L’auteur nous parle d’un petit garçon désappointé par les comportements opposés de deux maîtresses : l’une obéit à ses exigences, à sa conscience professionnelle, son organisation ; l’autre prône l’expression libre, l’épanouissement de l’élève. Isabelle Lamorthe revendique la liberté de choix, la recherche de son propre plaisir, le droit au copiage, l’encouragement, le travail en groupe.

Loin l’idée de déposséder l’enfant de ses trouvailles et de sa réussite, de le laisser « au chaud » dans une posture de simple consommateur. Le but est de rétablir une confiance réciproque à travers cette démarche de création : « confiance de l’enseignant dans les capacités des enfants et en lui-même ; confiance de l’enfant en lui-même, et en l’enseignant ».

2. Ecoute active, écoute créative

Le constat est triste. Il y aurait deux musiques : l’une, proche de soi, qui nous procure du plaisir, du rêve ; et l’autre, supérieure, qu’il faut comprendre pour ne pas l’abîmer. Cette hiérarchie crée le rejet, l’inaccessible, et creuse le fossé entre les goûts, abolissant tout dialogue et toute tolérance. Pourtant tous les enfants ont cette capacité d’écoute active pour leurs musiques (phénomène de « tube »). Le problème est de mettre ces capacités au service d’autres musiques et d’abolir toute réaction de rejet et d’appréhension. Ces deux dernières notions sont reprises par l’auteur quand elle nous parle de la dictée de note, cette « évaluation-condamnation ». La peur de l’erreur entraîne une profonde remise en question de l’estime de soi (et de son oreille), entraînant les blocages que tout le monde connaît vis à vis de cette épreuve plus sociale que musicale.

Isabelle Lamorthe nous propose alors des pistes de travail à travers des activités vivantes, pour refaire fonctionner une oreille qui a toujours bien fonctionner. Car si l’élève entend ses fautes, c’est qu’il a de l’oreille !

3. Improviser, pour mieux jouer

L’improvisation répond à un paradoxe. Improviser, c’est se libérer, se défouler. Mais doit-on observer certaines règles ? Improviser, c’est brouiller les conventions, les règles de jeu habituelles. Mais faire de la musique ce n’est pas faire du « bruit » ? Improviser, c’est s’exprimer avec ses mots, sans mot, se révéler ? Mais si l’on n’a rien à dire, ou si l’on a peur de se tromper ? L’improvisation, malgré ce qu’elle nous apporte de plus jouissif, nous ramène face à nous-même, face à nos angoisses. Isabelle Lamorthe laisse le temps pour l’exploration individuelle, n’impose aucune consigne et laisse le groupe qui improvise en totale autogestion.

Elle nous montre alors que la véritable liberté réside plus dans notre capacité à y renoncer pour autrui que dans son affirmation abusive et égoïste. Le travail musical postérieur, devient travail social : sur l’acceptation des idées des autres, de leur silence, de leurs exigences. L’écoute de ce que l’autre joue devient écoute de l’Autre. Et la plus belle improvisation ne naît pas de la superposition de monologues savants, mais d’un dialogue instrumental structuré et humble.

4. Pour une nouvelle conception de l’apprentissage

Ce chapitre traite, à travers l’apprentissage du rythme, du problème important de la transmission des savoirs en musique. Chaque situation d’enseignement est confrontée à certains obstacles : l’obtention du silence, les manifestations de l’autorité, le diktat du modèle, la peur du bruit. Isabelle Lamorthe nous montre que ces obstacles ne sont pas tous légitimes, et que l’on peut les dépasser :

  • Explorer ensemble les limites supportables du bruit

  • Prôner le dialogue musical avec le groupe plutôt que d’imposer le poids du modèle

  • Ne pas confondre répétition mécanique et appropriation personnelle

  • Et dans le cas du rythme, ne pas considérer l’arythmie comme une faute, mais plutôt comme une originalité

Parmi les modes de transmission, on trouve l’explication (qui « empêche de comprendre »), la simplification (qui dénaturalise le morceau choisi). L’élève s’approprie le savoir au terme d’une véritable rupture avec ce qu’il savait déjà au préalable. Alors oui il faut montrer pour que l’autre s’approprie, mais il ne faut pas montrer pour que l’autre imite. Le fait d’analyser a aussi ses risques : trop savante, l’analyse éloigne l’élève du projet de départ. Elle ne prend son sens que si elle devient un outil de dépassement des difficultés.

5. Sortir de l’alternative du « j’aime / j’aime pas »

Les jugements de valeur sont souvent trop hâtifs. Les valeurs culturelles (portées à supériorité), la morale, l’esthétique, le goût, toutes ces notions se mêlent pour définir le Beau et le Bien. A travers une pédagogie de la provocation, l’auteur brave les réactions de rejet.

Le travail avec ce que l’on aime le moins s’effectue à travers des activités théâtrales (caricatures, jeux vocaux, jeux corporels) et non grâce à des explications qui pourraient renforcer les attitudes de dénégation. Isabelle Lamorthe dénonce ensuite les affrontements, les classements et les jugements qui gravitent autour de la notion de goût. L’identification de la personne à sa musique est indéniable. La détruire par un jugement, c’est porter atteinte directement à la personne. Il faut que l’affrontement devienne confrontation, que le dégoût laisse place à l’enrichissement. Ce dernier naît de la curiosité. « Lorsqu’on ne cherche plus à convaincre, mais qu’on exprime simplement ce que l’on a ressenti, s’ouvre la possibilité d’une curiosité nouvelle : être curieux d’aller voir précisément du côté où cela dérange, réécouter malgré sa répulsion ou plutôt voir ce qui se passe au-delà ».

6. De l’affrontement à la communication

Ou comment faire face aux problèmes de discipline. Isabelle Lamorthe nous dresse un tableau des situations délicates : l’apathie, le refus, le surinvestissement, le détournement, la violence physique. Toute violence que l’on soumet est une violence à laquelle on a été soumis. Alors culpabiliser ne sert à rien. Le changement de rôle montre la difficulté de se placer en tant que personne face à l’enfant sans imposer une quelconque supériorité. L’enseignant doit prendre garde : préoccupations narcissiques, consignes contradictoires, exclusion en public.

7. Le chant … pour que chacun (re)trouve sa voix

Le chant fait peur car le chant trahit notre intimité et nos émotions. Et cette angoisse se retrouve aussi bien chez les enfants que chez les adultes. Chez l’adulte, c’est la peur du jugement, de la voix qui déraille, de la fausse note. L’enfant, lui, vit en contradiction avec le fait qu’il est censé toujours se taire. Voilà maintenant qu’on lui demande de s’exprimer ! Isabelle Lamorthe positive. Elle oppose l’humour à la moquerie, propose le travail régulier pour instaurer l’habitude, le choix personnel d’un style et d’une chanson, l’usage de la parodie, le renversement des rôles (candidat / jury).

Changer de regard

Comprendre les résistances pour rétablir la confiance. Le livre d’Isabelle Lamorthe nous fait partager des pratiques pédagogiques et parie sur les capacités créatrices des enfants … et des adultes. Il ne faut plus considérer les handicaps comme une fatalité, comme un obstacle à la création. Les capacités sont là, enfouies en nous. Il faut retrouver confiance en sa voix, ses idées, en soi. Les connaissances d’un musicien spécialiste l’éloignent des problèmes et des richesses des élèves, richesses auxquelles sera peut-être plus sensible l’enseignant novice. Il faut miser sur une pédagogie de la confiance, de la motivation, de l’audace car il est angoissant de voir qu’un enfant est capable de chanter devant une salle entière à « l’école des fans » et que dix ans plus tard la même scène relèverait du ridicule suprême.

II Commentaire

1. Sur la pédagogie du modèle

Il s’agit d’une pédagogie que l’on subit en tant qu’élève, mais que l’on ne s’empêche pas de pratiquer lorsque l’on enseigne, car ce type de méthode est une véritable solution de facilité. Il est vrai que la limite entre imitation et appropriation est difficile à cerner, d’autant plus que c’est l’élève qui la fait. Enseignant le piano à de jeunes enfants débutants, je me trouve souvent à leur montrer la position de ma main sur le clavier … position modèle (?). Mais aucune imitation n’est parfaite et le résultat est alors peu satisfaisant. Je rejoins alors Isabelle Lamorthe et propose à mes élèves de poser « naturellement » leur main sur le clavier sans aucune autre explication, et ce après quelques exercices de relaxation. A la différence du violon, le piano offre quand même plus d’ergonomie. La moindre indication que je m’en vais leur donner par la suite provoque la crispation. Alors faut-il intervenir ?

Ne rien corriger tout de suite et l’enfant va pour le coup, intégrer de mauvaises habitudes. Surtout que la position qu’ils proposent, même si elle est « naturelle » donc première, ne leur facilite jamais l’exécution. Cependant, noyer le jeune élève sous des indications de poignet, de bras, de rondeur des doigts, de souplesse du corps, l’amèneraient à vivre ces premiers moments avec l’instrument et la musique comme une contrainte. La démotivation est inévitable. Loin de moi l’idée de fabriquer des futurs solistes, de brillants virtuoses. Les premiers moments de musique que l’on fait vivre aux enfants sont chargés de responsabilité et d’émotion : il faut surtout que ces enfants se fassent plaisir. Notons que les solutions qu’ils proposent pour franchir une difficulté ne sont pas dénuées de richesse : j’ai vu des enfants utiliser la pédale de sourdine quand je leur demandais s’il pouvaient jouer tout doucement. Il faut considérer le bagage préalable de l’enfant qui avant que son professeur de piano arrive, s’est amusé peut-être pendant des heures avec son nouvel instrument comme avec un nouveau jouet.

Bien sûr je me contrains d’éviter cette tendance à l’imitation pour ne pas faire vivre ce que l’on vit. Il arrive que les phrases de chorus que je joue à mon professeur de jazz ne lui plaisent pas car trop sautillantes, pas assez fluides, pas assez dans l’harmonie, trop réitératives. J’ai du faire personnellement ces conclusions sur mon mode de jeu. Le seul moyen qu’il propose pour me corriger est de se mettre au piano et de me jouer de superbes phrases qui ne m’apprennent rien : « tu peux faire ça », ou « fais plutôt comme ça », ou bien « c’est pas mal mais regarde ». La machine est déjà bien installée et je ne me vois pas lui faire rendre compte de son « erreur de pédagogie ». Isabelle Lamorthe parle bien de fatalité.

2. Travailler avec ce que l’on aime le moins

Les solutions que propose Isabelle Lamorthe sont loin d’être vides d’espoir mais elles me semblent teintées d’un peu d’utopie. Un élève rongé par l’esprit de contradiction et par les problèmes avec l’autorité fera fi des tentatives d’adaptation du professeur. Car c’est toute la notion de supériorité hiérarchique qu’il rejette (pour autant que le professeur veuille l’abolir). Si un professeur propose une chanson de variété et que les élèves n’en veulent pas, c’est parce que c’est un professeur qui la propose. Au fond peut-être, ils aiment cette chanson. Tous les élèves ont un jour pensé que leur professeur était issu d’une « autre planète », où les mœurs étaient différents, les habits, la technologie … souvenons-nous des professeurs qui utilisent d’une manière gauche et méfiante magnétophones et téléviseurs.

J’ai fait un remplacement de formation musicale dans un conservatoire de banlieue. Parmi les directives que m’avait laissé le professeur, il y avait du chant. Et ce dernier m’avait invité à n’amener aucune partition de mon choix. Tous les élèves de sept à douze ans, debout derrière leur chaise, faisaient preuve d’une docilité impressionnante pour chanter des lignes de notes sans aucun sens, composées par leur professeur. Le chant était dénaturé. Et les élèves de 14-15 ans se sont permis de me le rappeler à leur manière. Les problèmes de discipline dont parle Isabelle Lamorthe étaient inévitables mais tellement excusables.

J’invite alors les élèves à venir autour du piano. Le simple déplacement provoque le calme, le suspens l’interrogation. L’ambiance devient alors plus intimiste, plus conviviale, plus adaptée pour chanter. Je propose des chansons connues de comédies musicales : tout le monde chante, j’espère heureux de ce renouveau. Mais toute nouveauté s’essouffle et le calme obtenu m’interrogeait : « et la semaine prochaine, tu fais quoi ? ».

3. Apprivoiser, Improviser

Je vois l’improvisation chez les jeunes enfants à qui j’enseigne le piano comme un apprivoisement. Leur instrument est connoté de symbole : le prix, la taille, le brillant, l’investissement parental. L’objet angoisse parce qu’il s’impose face au petit enfant, et intimide car il semble fragile, salissant : « qu’est ce qu’il y a dans cette grosse boîte ? ». J’invite souvent mes élèves à ouvrir leur piano. Connaître très tôt son instrument, c’est pouvoir le dominer plus tard, et s’amuser tout de suite. Je demande à un élève : « comment joue-t-on du piano ? ». Il recule son siège (attention à la queue de pie !), pose ses mains et … ne joue pas : « bah, je ne sais pas jouer ». Apparemment, il sait qu’il y a des gestes à ne pas faire quand on joue. Je lui demande de faire quelque chose sur son piano qu’il n’a pas le droit de faire. Blocage : « je ne sais pas lire la musique ». Je pense qu’il faut que je lui montre qu’on peut faire ce que l’on veut sur le piano (un modèle ?). Je tape sur un des pieds. Toutes les références sur l’interdit, le conventionnel, l’admis, semblent se bouleverser dans ses yeux. « Alors jouons tous les deux ». Je tape, il caresse, nous grattons …



4. Conclusion

Pratiquant le jazz, l’improvisation fait partie de ma vie de pianiste. Isabelle Lamorthe nous montre qu’il ne faut pas freiner les élans créateurs des enfants. Ces élans sont plus riches en évolution et en émotion que la correction d’une fausse note, d’un rythme, d’un doigté. L’improvisation est la piste de travail la plus intéressante que propose l’auteur. Elle permet de nous découvrir de nous tester, et surtout de dialoguer, de respecter, de s’exprimer. Maxim Vengerov, un des plus grand violoniste du moment est incapable d’inventer quatre mesures ! Cet enseignement doit s’étendre au conservatoire, au collège, et à l’université : la créativité fait autant de nous des musiciens qu’une dictée de notes.

1 J.-P. Astolfi, L’école pour apprendre

Publié dans PEDAGOGIE

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